La Reine par Soukeyna Kane

La Reine,

Un matin,
La fourmilière convoqua les sages,
Car ce matin là
Le destin de la fourmilière,
Allait être scellé à jamais.
Ces vaillantes fourmis travailleuses et solidaires,
Se levèrent comme un seul être,
Pour désigner celle qui deviendrait reine,
Ce serait une fourmi comme les autres,
Choisie parmi tant de têtes,
Parce qu’il fallait bien en choisir une,
Était-ce au mérite?
Assurément non.
Mais il fallait oser,
Lever la patte, lorsque le clairon sonnerait,
Et que le conseil des sages,
Ces barbus dont les rides au coin des yeux,
En disaient long sur ce que la vie leur avait donné à voir,
Comme destins improbables, trajectoires inédites,
Lorsque ce conseil disions-nous donc,
Inviterait les candidates à la royauté à s’avancer.
Alors, contre toute attente, la fourmilière porta son dévolu,
Sur une petite créature, frêle, au pas peu assuré.
Qui avait osé se dévoiler.
Pourquoi elle?
Parce qu’elle avait parcouru la fourmilière,
Dans ses moindres coins et recoins,
Promettant d’être la reine que toutes attendaient.
C’est ainsi que petite fourmi investit le trône,
Et le régiment s’exécuta.
Les besognes reprirent de plus belle.
La reine voulait marquer de son empreinte,
Son passage sur ce trône majestueux,
Que toute les colonies voisines lui enviaient.
Elle décréta les douze travaux de Minus,
Et la horde fit de ses désirs une belle réalité,
Faite de voies, contre-voies, allées,
D’Arènes pour les plus hardies d’entre elles,
De greniers à riz, à miettes de pain, à sucre,
Ordonnée la demeure devint, belle et accueillante elle s’efforçait de l’être,
La reine ne voulait manquer de rien.
Elle obtient l’abondance dans la démesure.
Mais la démesure est contagieuse,
Affichez-la au grand jour, et elle gagnera les âmes,
Telle une tare qui s’y infiltre et s’y agrippe.
Le mal s’empara de sa maigre cervelle,
Et la reine se voulut impératrice.
D’aucuns contestèrent,
Et la reine se voulut sanguinaire,
D’aucuns courbèrent l’échine,
Et la reine se crut invincible.
La fourmilière se tut.
Et la reine se vit immortelle.
Mais la démesure ne s’embarrasse guère des détails alentours.
Du haut de sa tour, la reine n’exerçait plus son œil,
Jadis tant avisé et apte à percevoir l’infiniment petit.
Hélas, elle ne perçut pas,
La Révolution silencieuse,
La douce révolte en marche.
Les graines de riz avaient cédé la place aux pierres,
Et les soldâtes devinrent Sisyphe.
Qu’il était beau ce balais de porteurs,
Dorlotant la reine des chants scandés haut,
Dans cet effort sans fin,
De faire de la fourmilière un grenier à pierres.
Les fourmis chantaient,
La Reine sommeillait.
Elles emmuraient la Reine,
La reine rêvait de nouvelles colonies.
Elles bâtissaient, la reine gazouillait.
Le bouquet final fut saisissant.
La discipline dans toute sa splendeur.
La reine fut emmurée dans son trône.
Prisonnière des pierres.
Ne se mouvant plus,
L’édifice devint mouroir.
Emmaillotée, elle leva ses globes
Rouge-sang vers le ciel,
Et compris, assurément, bien tard,
Que la royauté d’ici-bas n’est que trop friable.

Soukeyna Kane

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