La Tragédie de Thiaroye : Devoir de Mémoire ou volonté de réconciliation ?

L’Afrique et l’Europe en général, les Africains francophones en particulier ont commémoré ce 1er décembre 2024, la tragédie de Thiaroye, survenue en 1944. Le marqueur désormais indélébile est porté par le chef de l’Etat sénégalais, Président Bassirou Diomaye Diakhar FAYE.

Le nom de son pays est, depuis huit décennies, associé à la libération de la France occupée durant la deuxième guerre mondiale. Les combattants désignés sous le vocable de Tirailleurs sénégalais venaient de 16 pays du continent, tous alors colonies françaises.

Pudiquement mais encore dans le déni de la réalité, la France parle désormais de « au moins 35 » de ces tirailleurs massacrés à Thiaroye ( banlieue dakaroise) le 1er decembre 1944, victimes de leurs frères d’armes métropolitains. Leur seul tort : avoir revendiqué ce qui leur est dû en tant que militaires libérés et rêvant de retrouver leurs familles dans leurs territoires d’origine. Leur nombre : « au moins plus d’une centaine », répondent en chœur d’autres sources par opposition à celles du coupable de la tuerie.

Cet épisode tragique n’est pas un cas isolé dans les rapports de Paris avec ses anciennes colonies. Il s’inscrit dans une longue série de violences, d’injustices et d’abus perpétrés par les colons sur les populations autochtones. Pourtant, le choix de Thiaroye comme symbole dans le cadre des récentes opérations de communication de la France, emmène à poser de nombreuses questions.

Une tragédie emblématique mais pas unique.

Thiaroye n’est qu’un des nombreux drames qui ont jalonné la période coloniale. De l’exploitation économique systématique aux répressions sanglantes de révoltes indigènes, la liste des abus coloniaux est longue. Des épisodes comme les massacres de Sétif et Guelma en Algérie (1945) ou encore les répressions des insurrections en Afrique-Occidentale Française (AOF) témoignent de la brutalité avec laquelle la France a exercé sa domination coloniale. Ces derniers événements tirés du lourd bilan tragique, restent souvent relégués à l’oubli collectif. Tant mieux si Thiaroye est définitivement inscrit dans la mémoire collective africaine et européenne.

La communication française : réhabilitation ou stratégie politique ?

Incontournable question car, en choisissant de mettre en lumière la tragédie de Thiaroye, la France semble vouloir adresser une partie de son passé colonial, peut-être dans une tentative de réconciliation. Cette démarche soulève en effet des interrogations sur les véritables intentions de ses porteurs. Pourquoi choisir cet événement parmi tant d’autres ? Est-ce une reconnaissance sincère des souffrances infligées ? Ne s’agit-il pas d’une stratégie politique pour apaiser les relations avec l’Afrique dans un contexte de montée des critiques contre l’influence française sur le continent ?

En mettant l’accent sur Thiaroye, Paris pourrait être en train de chercher à transmettre l’image d’une puissance repentante, soucieuse d’assumer son passé. Mais une telle initiative s’avère incomplète si elle ne s’accompagne pas d’une reconnaissance globale des autres exactions commises, ainsi que d’actions concrètes, telles que des réparations symboliques ou matérielles.

Une Afrique jamais totalement soumise.

L’évocation de Thiaroye offre également une opportunité, pour les anciens colonisés, de réaffirmer une vérité historique souvent occultée : malgré la brutalité du système colonial, l’Afrique n’a jamais été totalement soumise. Si certains ont choisi, par contrainte ou réalisme politique, de collaborer avec les autorités coloniales, d’autres ont courageusement résisté. Dans ce registre, on peut citer des figures emblématiques comme Samory Touré, Béhanzin, Elhadj Oumar Tall ou encore les combattants des révoltes paysannes qui toutes ont incarné cette résistance à l’oppression.

L’histoire de Thiaroye illustre aussi les contradictions de l’ordre colonial : des soldats, enrôlés pour défendre une puissance étrangère, se retournent contre elle pour défendre leur dignité et leurs droits. Ce combat pour la justice, bien qu’écrasé dans le sang, reste un témoignage de la résilience africaine face à l’injustice.

Conclusion : Devoir de mémoire partagé.

La tragédie de Thiaroye et les autres forfaitures coloniales ne devraient pas être l’affaire de la seule France. Elles appellent à un devoir de mémoire partagé entre l’Afrique et l’Europe, afin de construire une compréhension mutuelle basée sur la vérité. Pour que cet exercice de mémoire ait un véritable sens, il doit dépasser les symboles isolés pour embrasser l’ensemble des réalités historiques, aussi douloureuses soient-elles. Ce n’est qu’à cette condition que les blessures du passé pourront véritablement se cicatriser.

Abda Wone

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